DPI en Afrique : vers une gouvernance numérique souveraine et collaborative
- Kévin Guéï
- 5 mai
- 3 min de lecture

À l’heure où les infrastructures publiques numériques (IPN) redessinent les contours du développement mondial, l’Afrique affirme un positionnement audacieux et structurant. L’édition 2025 du rapport de la Digital Public Infrastructure Platform consacre la montée en puissance du continent africain comme laboratoire d’innovation en matière de gouvernance numérique. Ce modèle, encore émergent mais déjà inspirant, conjugue inclusion, souveraineté, partenariats stratégiques et leadership distribué.
Une dynamique continentale orchestrée par l’Union africaine
Au cœur de cette révolution numérique se trouve une volonté politique claire : harmoniser les initiatives, mutualiser les ressources, renforcer les capacités des États, et surtout, inscrire le développement numérique dans une logique d’intégration continentale. La Stratégie de transformation numérique 2020-2030 de l’Union africaine ne se contente pas de fixer des objectifs technologiques ; elle réinvente les cadres de gouvernance en plaçant la ZLECA comme colonne vertébrale du marché numérique commun africain.
Dans ce schéma, l’Union africaine joue un rôle de catalyseur stratégique, alignant les initiatives régionales autour de standards communs, tout en respectant la diversité des contextes nationaux. Elle donne à voir un modèle de gouvernance fondé sur la coordination, l’interopérabilité et la souveraineté numérique — un contre-modèle face aux plateformes dominantes des géants occidentaux ou asiatiques.
L’architecture financière au service de la transformation
L’un des piliers de cette dynamique réside dans la mobilisation d’instruments financiers puissants. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) se distingue par son rôle moteur : avec plus de 37 milliards de dollars d’actifs, elle accompagne des projets structurants tels que PAPSS, le système panafricain de paiement qui permet des transactions en monnaies locales. Ce dispositif fluidifie les échanges intra-africains tout en renforçant l’autonomie monétaire des économies.
C’est une approche pragmatique : l’infrastructure numérique ne peut se construire sans une base économique solide. Le financement ne suffit pas — encore faut-il une exécution rigoureuse, des standards de qualité, et une gouvernance partagée. Afreximbank incarne cette vision hybride : entre appui institutionnel et exigence d’impact opérationnel.
Des laboratoires nationaux d’innovation numérique
À l’échelle locale, plusieurs pays deviennent des pays vitrines du DPI. Le Kenya, avec M-Pesa et Huduma Namba, démontre qu’un service de paiement mobile peut devenir le socle d’un État plateforme. Le Rwanda, avec Irembo, simplifie drastiquement l’accès aux services administratifs. Le Nigeria, par son dynamisme entrepreneurial et ses fintechs comme Paystack ou Flutterwave, devient le hub digital de l’Afrique de l’Ouest.
Ce que ces exemples ont en commun, c’est une capacité à faire converger volonté politique, innovation technologique et inclusion sociale. Ils montrent que l’État peut être un facilitateur de solutions numériques, en dialogue permanent avec les citoyens, les entreprises et les investisseurs.
Leadership distribué et écosystème coopératif
L’un des traits les plus frappants du modèle africain de DPI est son leadership distribué. Les États, les entreprises privées, les institutions financières et les partenaires internationaux avancent en réseau, dans un équilibre mouvant entre autonomie et interdépendance. Ce n’est pas un leadership de contrôle, mais un leadership de convergence.
Les acteurs internationaux — Banque mondiale, Fondation Gates, PNUD — jouent un rôle de soutien technico-financier. Mais ils ne dictent pas la feuille de route. Ils accompagnent des dynamiques locales, portées par des gouvernements et des structures régionales comme Smart Africa, la CAE ou les ministères du numérique. C’est ici que le paradigme de la coopération trouve toute sa pertinence : il ne s’agit pas de transférer des modèles, mais de co-construire des solutions endogènes, adaptées aux réalités africaines.
Défis persistants, mais perspectives solides
Le rapport souligne cependant les fragilités structurelles : inégalités d’accès, cybersécurité, instabilité politique et dépendance technologique. Pour éviter que les DPI ne deviennent de simples coquilles vides ou des outils de contrôle, la question de la gouvernance locale reste centrale. Il faut des cadres juridiques robustes, une régulation agile, et des dispositifs de redevabilité citoyenne.
C’est dans cette tension entre ambitions et contraintes que se forge un nouveau pacte numérique africain — résilient, inclusif, souverain.
L’Afrique trace sa propre voie
L’Afrique n’est plus un continent suiveur dans le domaine digital. Elle expérimente, innove, et surtout, elle propose un modèle de développement numérique fondé sur la coopération, la responsabilité et l’ancrage territorial.
Le DPI à l’africaine, c’est l’alliance entre la vision stratégique d’une union continentale, la force d’exécution d’acteurs locaux, et l’audace d’un secteur privé qui mise sur l’inclusion. C’est un modèle qui interpelle le reste du monde : et si l’avenir de la gouvernance numérique venait du Sud ?
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